Published by ANNE DENIAU aka ANN RAY

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D.R.

 

 

Thrill, ça veut dire frisson. 

Ceux qui me connaissent savent. Que je suis allée à Londres en juillet 2011, que je pensais voir ce spectacle 2 ou 3 fois. J’y suis allée 5 fois. Chaque soir. Et chaque soir, les mêmes frissons. Thrills. Le même spectacle, 5 soirs d'affilée ; ça ne m'était jamais arrivé.

Je suis retournée à Londres en septembre, pour la même raison. Deux ou trois soirées, je ne sais plus, peu importe.

 

Et puis Paris au printemps. 2012. Un an après ; Un an après le drame qui a frappé le Japon et donné son titre à cette soirée unique, belle à frissonner, vertigineuse : « 6000 miles away ». Ils sont là. J’y serai à nouveau. Parce que « ils » se nomment Guillem, Le Riche, Murru. « Ils » se nomment aussi Ek, Forsythe, Kilian. « Ils » c’est aussi elle, Aurélie Cayla, la tache rouge de la pièce de Kylian.

 

Je vais avoir du mal à écrire ; Ou alors ça : cette soirée c’est tout ce que j’aime. Tout. C’est tout. C’est.

Tout. Par où commencer, comment écrire sur ce qu’on ne veut pas voir finir ?

 

Fragments :

 

Forsythe. Une pièce nommée « Rearray ». Duo créé pour Sylvie Guillem et Nicolas Le Riche, Massimo Murru aussi danse ce duo. Chacun son histoire, deux voyages, semblables et différents.

A chaque fois que je vois cette pièce je l’aime davantage. Difficile d’accès. Envoûtante. Anxiogène, peut-être. Hypnotique. Peut-être qu’il y tant dans les œuvres de Forsythe qu’un esprit humain ne peut tout appréhender la première fois, je ne sais pas. Pas assez de neurones, ou de capteurs sensibles ; Visions successives. Envoûtement. Et quand ces deux-là dansent ensemble, Sylvie Guillem et Nicolas Le Riche, les mots deviennent inutiles. Silence, regarde. Des miettes d'absolu, offertes. Beauté.

 

Kylian. « 27’52 ». Une histoire d’amour, de déchirure et d’ensevelissement. Des gestes, des mots. Des larmes. D’aucuns se prennent à écrire n’importe quoi, critique pour la critique, besoin d’exister ? N’écoute pas. Regarde, et pleure. Une tâche rouge sur une interprète bouleversante, à fleur de peau, sa peau. Cris silencieux ensanglantés. Les amours mortes n’en finissent pas de mourir. Des corps à demi-nus parce que c’était nécessaire, signifiant, viscéral. Des corps à corps. Des corps perdus. Un fond de théâtre brut comme l’amour et la mort. Beauté.

 

Ek, Mats Ek. Celui qui dit, lassé des interviews et des questions banales sans doute, que "les ballerines ne l’intéressent pas, ni les étoiles, ni les danseurs" ; Jolie pirouette. Sacré Mats Ek. Sacré. Celui qui évoque des "êtres humains". Celui qui signe un solo, une œuvre sidérante qui se nomme « au revoir » en suédois. « Ajö », « Bye ». Sylvie Guillem, seule. Dernière sonate de Beethoven interprétée par Ivo Pogorelich, ce n’est pas un détail. Guillem. Petite fille espiègle, ange bondissant hors de tous les cadres, femme qui regarde la vie qui passe, qui cogne à toutes les portes, qui se cogne, qui s’y cogne. Bye. Ce solo, il fallait oser, il fallait l’écrire, il fallait l’inventer. Le vivre. Avec quelle générosité... Mats Ek, Sylvie Guillem. Il y a toute l’humanité d’un monde, d’une femme, d’un homme dans ce solo. Silence, regarde. Beauté, et Vérité. Humanité. Ou ce qui définit l’une, et l’autre. Sylvie Guillem. Mats Ek. Larmes, sourires, soupirs, la vie. Choc. Reverentia.

 Et enfin à Paris, comme si tant de frissons ne suffisaient pas, Mats Ek donne encore. « Memory », un duo qu’il danse avec sa femme, l’immense Ana Laguna. Chaque seconde de ce joyau est un cadeau. Une expérience de vie. Le frisson absolu, peut-être, celui qui vient transcender cette soirée d’exception. Deux artistes en communion. Totale. Unique, et rare. « Souvenir »

 

Se sentir vivant. Regarder, silencieux. Sortir, KO. Tenter de se souvenir, oui. Thrill, & vertigo. Frissons vertigineux. Bye, au revoir, c’est fini. Errer dans un état second. Parler, dire n’importe quoi. Alors se taire. Silence. Arrêter d’écrire, d’ailleurs.

Juste un détail qui n'en est pas un : hier, 15 mars 2012. Ce soir, 16 mars, j’y serai à nouveau, avec mon fils. Parce que « élever » un enfant, ça veut dire exactement ça : lui offrir la possibilité de. L’élévation. Du regard, de l’esprit et de l’âme. Je ne sais pas ce qu’il verra, certainement autre chose. Il me racontera, s’il le souhaite, pas forcément. Ce soir je l’emmène, et je le regarde prendre son envol. « 6000 miles away ».

 

 

 

 

 

 

Comment on this post

Nakis 04/23/2012 16:42

Je me souviens avec émotion de votre magnifique récit sur la Divina à La Scala de Milan lorsque Sylvie Guillem interprétait le rôle de Manon en 2011.
Je retrouve cette merveilleuse émotion en relisant ce texte sur le nouveau spectacle de Sylvie qui chaque fois nous ouvre des horizons infinis dans la danse, l'art, la vie, la beauté tant elle
incarne cette Beauté.
"Réarray" est une chorégraphie que j'apprécie aussi davantage à chaque nouvelle vision, tant Forsythe, Guillem et Le Riche semblent explorer chaque coin de l'évolution de la danse avec sa rigueur,
sa discipline, sa beauté et sa solitude pour le danseur.
Quant à "Bye", c'est un poème d'une beauté et d'une sensibilité à coupler le souffle.
Seule note de tristesse. Pourquoi l'Opéra de Paris n'a pas invité Sylvie Guillem cette année, rien qu'une dernière fois lors de la reprise de Manon à l'Opéra Garnier, surtout après son immense
triomphe à La Scala?

Anne D. 03/21/2012 00:29

Merci...

Philippe Banquet 03/18/2012 21:28

Votre commentaire sensible et profond traduit parfaitement les émotions que j'ai ressenties samedi soir au théâtre des Champs-Elysées, quel magnifique spectacle !
J'ai été particulièrement subjugué par la réussite exceptionnelle de ce pari si audacieux : danser sur l'opus 111 de Beethoven, sans le dénaturer ni le paraphraser, profondeur dans la profondeur,
beauté jaillissant de la beauté, un véritable ailleurs, suspendu par la grâce.